*** 7,5/10 *** Vers le paradis - Hanya Yanagihara

Vers le paradis est le troisième roman publié de Hanya Yanagihara. 
Elle est née en 1974 à Los Angeles mais a grandi à Hawaï dont son père est originaire. Avant de se consacrer entièrement à l'écriture, elle a été publiciste et rédactrice en chef du T: The New York Times Style Magazine.

Son premier roman intitulé The People in the Trees n'a pas été traduit en français et son second a été publié en français sous le nom Une vie comme les autres pour lequel elle a remporté le prix Kirkus 2015.
Vers le paradis (dont le titre original est To Paradise : a novel) est paru en 2022. La traduction française a été opérée par le talentueux Marc Amfreville, professeur de littérature américaine à l'Université Paris IV-Sorbonne et traducteur réputé.
Notons que c'est un pavé de 813 pages en grand format. Il est structuré en trois parties distinctes totalement indépendantes. La première se déroule en 1893, la seconde en 1993 et la dernière en 2093. 

Lien de la photographie


Dans la première histoire, nous voilà en 1893, dans une "autre" Amérique. L'auteure a en effet pris quelques libertés sur l'Histoire des Etats-Unis donc nous ne sommes pas vraiment dans le monde actuel. David Bingham est l'un des trois petits-enfants d'un riche financier, prêt à lui léguer sa belle maison située au cœur de New-York. La question principale de cette histoire tourne autour de son cœur à prendre. En effet, David n'est pas marié, à une époque où on se doit de l'être. Il va être présenté à Charles Griffiths, un très bon parti. Mais David va s'éprendre d'un autre jeune homme, ce qui ne va pas plaire à tout le monde... Entre un mariage organisé ou la rencontre d'un charmant homme plein de mystère, que va décider David ? 
A travers ce récit, de nombreux sujets sont traités, on parle de mariage homosexuel, de sentiments, de vérités forcées, de la difficulté d'exister dans une famille bien lotie. J'ai adoré cette histoire car elle est pleine de rebondissements. A travers une histoire d'amour, on découvre peu à peu la vérité avec David et son grand-père et nous frémissons car nous préfèrerions ne pas avoir à prendre la lourde décision que notre héros devra prendre. 

La seconde histoire se déroule en 1993. Derrière cette histoire rejaillira la triste histoire du sida. Ici, nous sommes toujours dans la grande maison de Washington Square, habitée par Charles Griffiths (un autre, pas celui de la première partie). Celui-ci a réussi sa vie et la partage avec un de ses jeunes employés nommé David Bingham. Il vient de Hawaï et a reçu une lettre de la part de son père qui, visiblement, ne fait plus partie de sa vie. Tout le suspens de cette partie sera de rentrer dans la vie et le passé du jeune homme, descendant direct pour le trône de Hawaï, n'existant plus à cause de son annexion aux Etats-Unis, de comprendre les relations complexes unissant son père et lui. Viendra alors s'ajouter à sa voix celle de son père, expliquant son histoire. Peu à peu, nous comprendrons leur histoire. 

La dernière partie se déroule en 2093. Nous découvrons un monde traversé régulièrement par des pandémies. Nous comprenons qu'une partie de l'humanité s'est éteinte dans l'une d'entre elles. L'héroïne est Charlie et vit sous un régime totalitaire. Nous comprenons qu'elle a eu un mariage arrangé avec Edward qui a des choses à cacher... En parallèle, nous découvrons les échanges épistolaires de Charles Griffiths, un scientifique, à l'un des ses amis. A travers ces lettres, nous découvrons l'histoire de ce demi-siècle, traversé par les maladies et la déviance du gouvernement. 
C'est ainsi que l'héroïne s'étonne en faisant le tour d'un parc, en se remémorant les paroles de son grand-père qui lui expliquait qu'avant, les gens venaient simplement se promener, passer par le parc pour ne rien faire. Elle ne connait pas ça. Dans son monde, ils sont rationnés via des tickets pour la nourriture et ne sont pas libres de faire ce qu'ils veulent. Cela ne l'empêchera pourtant pas de découvrir que son mariage n'est pas si "droit" que cela.

Le talent de Hanya Yanagihara est certain.

L'avis de Charlotte

Le sujet prépondérant est le mariage. Au niveau géographique, on oscille entre les Etats-Unis avec en toile de fond Hawaï (dont est originaire Hanya Yanagihara). A travers les époques, les thèmes abordés sont la maladie, les pandémies, le statut d'héritier et le poids de la famille.

La première observation que je tire juste après avoir terminé la lecture est que le livre est inégal. J'ai adoré la première partie, en revanche, je n'ai pas apprécié l'histoire qui se déroule en 1993 et ai peu accroché à la dernière en 2093.
Tout d'abord, l'auteure réutilise les mêmes prénoms pour ses personnages mais en les changeant à travers les époques, ce ne sont plus les mêmes. Je ne comprends pas l'intérêt : est-ce un fil rouge ? Un clin d'œil ? C'est en effet difficile pour le lecteur de suivre car on peut confondre avec la partie précédente et je ne comprends pas l'intérêt puisqu'il ne s'agit pas du même personnage à une autre époque.

Ensuite, le livre comporte des longueurs. Le grand format possède 814 pages, disons-le, elle aurait pu sortir une trilogie en trois volumes à la place ! Je pense que le livre m'a paru long car j'ai voulu le lire d'une traite, alors que les trois parties sont bien distinctes, j'aurais pu effectuer une pause.

Le talent de Hanya Yanagihara est certain. Celle-ci est une vraie plume et maitrise extrêmement bien les rouages de l'écriture d'un récit. Le style littéraire est élaboré, l'auteure est expérimentée et très talentueuse ! Les phrases sont fluides, le vocabulaire riche et les phrases très bien tournées. Rien que pour ça, la lecture de ce livre est un régal !



--- Extrait ---

p.27 - Notre héros va se promener dans New York
" C'était un jour froid et ensoleillé, et irrigué au fur et à mesure que la matinée avançait par une joyeuse et débordante énergie. Il était suffisamment tôt pour que tout le monde soit encore affairé et optimiste - porté par l'espoir que ce jour-là la vie opère une sorte de virage heureux et longtemps attendu, que tombe peut-être une vraie bonne nouvelle, que les conflits dans le Sud prennent fin, ou même seulement qu'il y aura deux tranches de lard au lieu d'une au repas de ce soir - et dans le même temps il n'était pas assez tard pour que cet espoir ne risque pas une fois de plus d'être déçu. Quand il se promenait, il n'avait en général aucune destination précise en tête, laissant ses pieds choisir sa direction, et là, il tourna à droit pour s'engager dans la 5e Avenue, adressant au passage un signe de tête au cocher qui attachait un cheval alezan dans la ruelle bordant les écuries."

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p.119 - Notre héros attend des nouvelles de Edward
" Et pourtant - il le savait - Edward n'était pas là, ni physiquement ni par l'esprit. Au fil des semaines, alors qu'il attendait sans cesse de ses nouvelles et lui écrivait consciencieusement tous les jours (dont l'équilibre entre ce qu'il espérait être une série d'anecdotes  divertissantes sur sa propre vie et sur New York d'une part, et de l'autre l'expression de son affection et de la tristesse causée par son absence, avait presque totalement basculé en direction de la seconde), l'inquiétude s'était muée en confusion, la confusion en surprise, la surprise en douleur, la douleur en frustration, la frustration en colère, la colère en désespoir, jusqu'à ce que le cycle reprenne une fois de plus depuis le début. Aujourd'hui, à n'importe quel moment donné, il éprouvait tous ces sentiments mêlés, si bien qu'il ne parvenait plus à les distinguer, et ils étaient tous exacerbés par un désir aussi pur que violent. Curieusement, le fait d'être en présence de Charles,  un homme bon dont la compagnie le détendait, rendait ces émotions plus vives encore, et donc d'autant plus oppressantes - il savait que s'il s'ouvrait à Charles de ses souffrances, il saurait le conseiller ou à tout le moins lui témoigner de la compassion, mais bien sûr le cruel paradoxe était que Charles était la dernière personne à qui il pouvait en parler." 


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7,5/10

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