Les premières pages annoncent le sujet : le récit se passe de nos jours, dans notre société dans laquelle a éclot la téléréalité (description réaliste de la sortie de Loana de Loft Story) à laquelle s'ensuivra dix ans de télévision et enfin, l'avènement - on l'espère - de ce format avec l'émergence des réseaux sociaux, notamment Youtube et Instagram sur lesquels des personnes se filment toute la journée.
Le sujet traité ici est encore un peu plus précis : Mélanie Claux, une femme ayant grandi devant sa télévision et à défaut d'être devenue une star de la téléréalité, est devenue une star des réseaux sociaux en lançant sa chaîne "Happy Récré" met en scène sa vie mais surtout sa vie de famille dont ses deux enfants Kimmy et Sammy. Sauf que Kimmy disparait en bas de l'immeuble, lors d'une partie de cache-cache.
Rapidement, les enquêteurs vont découvrir que des millions d'inconnus ont accès à leur position, leur vie, tous les jours, des millions de suspects potentiels...
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Source de la photographie |
L'avis de Charlotte
Critique acerbe de notre société et de l'utilisation des enfants dans ces systèmes médiatiques, Delphine de Vigan nous tient en haleine de bout en bout. Elle met en scène deux personnages proches en âge mais ayant pris des chemins opposés, l'héroïne Mélanie Claux apparait ainsi lamentable et antipathique tandis que la policière Clara Roussel avec son œil et son éducation plus critique à l'égard des réseaux sociaux nous apparaît sérieuse et ayant les pieds sur terre.Nous ne sommes toutefois pas loin du livre donneur de leçon, avec un regard quelque peu négatif sur l'Internet car, rappelons-le, les réseaux sociaux et ces fameuses chaînes n'apportent pas que des mauvaises choses, n'oublions pas qu'il s'agit de divertissement, au même titre qu'était la télévision dans les années 90. Mais l'auteure arrive malgré tout avec finesse à montrer de bout en bout la perversité du système et comment on peut basculer du côté de la maltraitance sans vraiment le vouloir (ni s'en rendre compte).
--- Extrait ---
p. 85-86 (Gallimard)
" Dans cet entre-deux, parmi les moments qui lui étaient revenus avec une précision terrible, comme si la peur lui offrait un accès inédit au souvenir, il y avait ce jour où Kimmy avait appris à regarder la caméra. A l'époque, Mélanie tournait encore dans son salon. Elle avait expliqué à Kimmy que pour faire comme les dames de la météo, il fallait regarder l'objectif. Ce n'était pas facile, pour une si petite fille, de comprendre qu'elle devait fixer la caméra plutôt que sa mère, même quand elle répondait à ses questions, et qu'elle donnait ainsi au spectateur le sentiment qu'elle s'adressait à lui. Car il fallait que chaque enfant, chaque adolescent, penché sur sa tablette ou devant son ordinateur, puisse imaginer que Kimmy et Sammy entretenaient avec lui une relation unique. Avec le souci de bien faire, Kimmy s'y était reprise à plusieurs fois avant d'être capable de maintenir son regard au bon endroit. Quand ses yeux s'égaraient, Mélanie agitait la main pour attirer son attention et, d'un geste, désignait l'objectif. Bientôt, après quelques hésitations, Kimmy avait intégré la contrainte. En quelques jours, c'était devenu un automatisme auquel elle ne pensait plus. Elle apprenait si vite. Au début, Mélanie n'apparaissait pas dans les vidéos. Elle guidait ses enfants, les questionnait, interagissait avec eux, mais ne montrait pas son visage, Kimmy était si sérieuse, si concentrée. Elle s'appliquait pour apprendre les textes et recommençait plusieurs fois s'il le fallait. Elle voulait lui faire plaisir. Elle voulait que sa mère la félicite.
Quelques semaines plus tard, un soir, Kimmy lui avait demandé :
- Et toi, pourquoi tu ne viens pas devant, avec nous ?
Mélanie avait souri puis s'était approchée d'elle.
- Parce que c'est toi la plus jolie, ma chérie.
Kimmy, soucieuse, avait insisté.
- Tu as peur ?
- Non, pas du tout, peur de quoi ?
- D'être enfermée.
- Enfermée dans quoi ?
Kimmy montrait l'écran du doigt. Que voulait-elle dire au juste, Mélanie l'ignorait. Sa fille avait toujours eu beaucoup d'imagination et il n'était pas rare qu'elle fasse des cauchemars.
- Mais non, enfin, ma chérie, personne n'est enfermé dedans."
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7,5/10
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