*** 8,5/10 *** Une douce lueur de malveillance - Dan Chaon

 Quelle belle trouvaille ! Quel roman audacieux !

Dan Chaon est écrivain et nouvelliste américain. Né en 1964, il a publié 3 recueils de nouvelles et 3 romans. Son second recueil de nouvelles - que je vais m'empresser de lire - Parmi les disparus (Among the missing, 2001) fut finaliste pour le National Book Award, a été nommé dans la catégorie des meilleurs livres de l'année par la American Library Association.  Il est important de souligner que l'ensemble de ses romans ont été salué par la critique et il a obtenu de nombreux prix dont le Academy Award en littérature remis par la American Academy of Arts and Letters. Autant vous dire que vous allez ré-entendre parler de l'auteur dans ce blog !

Une douce lueur de malveillance (Ill Will) est son dernier roman paru chez Albin Michel (2017), bien que classé en rayon littérature étrangère, il oscille entre thriller, roman policier et roman psychologique. On retrouve les codes du roman policier américain, des chapitres courts, haletants, passé et présent entremêlés, flashbacks. Une vraie réussite à travers un superbe style et des personnages finement travaillés. Je vous laisse le soin de découvrir de quelle manière l'auteur a fait le choix de transmettre sa réalité, les points de suspension, les phrases non terminées, les blancs, les trous de mémoire, les souvenirs. Chacun fermera le livre avec, je pense, sa propre interprétation car l'écrivain a réussi, il nous a, très subtilement, transmis la liberté de piocher dans plusieurs hypothèses.

Il nous plonge dans la vie de Dustin Tillman, quadragénaire, psychologue dans une banlieue (Cleveland, Ohio), marié et père de deux adolescents, Aaron et Dennis. Sauf que ce n'est pas si simple, peu à peu (no spoiler) nous découvrons que sa femme est atteinte d'un cancer métastasé, que son frère adoptif va sortir de prison. Il fut déclaré coupable du meurtre de leurs parents, leur tante et oncle, trente ans plus tôt, suite au témoignage de Dustin. 
Puis tout s'enchaîne, son patient Aquil devient son ami, une obsession partagée, des meurtres répétés, la drogue, la maladie, les souvenirs, les mensonges, l'auteur nous entraine dans une histoire passionnante non dénuée de psychologie. 

Un très beau livre !



Extrait de la première page 

" Un jour, au début du mois de novembre, le corps du jeune homme qui avait disparu au fond de la rivière. Face contre terre, butant légèrement contre le lit boueux, il fut sans doute charrié sur plusieurs kilomètres - sourcils froncés marquant une légère surprise, bras un peu écartés, jambes raides. Les plantes aquatiques promenèrent leurs frondes sur la coiffe de plumes que portait le garçon, sur son front, sur ses peintures de guerre et sur ses lèvres, sur la veste à franges en cuir de chevreuil et sur le collier de dents de loup, sur le pagne et les jambières en daim, jusqu'aux pieds dans leurs mocassins. En général, poissons et autres charognards hibernaient pendant cette période. Le corps heurta des pierres et des branches, frotta contre le gravier, mais fut plutôt bien conservé. Quand, en avril, au bord de l'étang gelé transformé depuis longtemps en patinoire, les deux étudiantes de première année découvrirent, au milieu des roseaux, le visage du garçon sous la fine couche de glace, elles crurent d'abord avoir affaire à un mannequin abandonné ou à un masque en plastique d'Halloween. Venues recueillir des  spécimens vivant dans l'eau des étangs pour leurs cours de biologie, elles se voulaient plus scientifiques que superstitieuses, et l'une d'elles lui toucha la joue avec la gomme de son crayon. 

Au cours de cette même période, de novembre à avril, Dustin Tillman s'était lui aussi laissé porter par le courant. Il avait quarante et un ans, était marié et père de deux adolescents, exerçait le métier de psychologue, et il racontait parfois avoir jadis fait plusieurs incursions dans la criminalistique. Sa vie, songeait-il, se résumait au train-train quotidien : effectuer les trajets en voiture entre la maison et le cabinet, écouter la radio, lire et répondre aux e-mails, qui ne cessaient de s'accumuler, faire les courses au supermarché, regarder à la télé des émissions plutôt intellos, lire quelques livres appréciés de la critique et aider les garçons à faire leurs devoirs, des détails qui étaient - il en avait de plus en plus conscience - des unités de mesure à l'aune desquelles il organisait sa vie. 
Quand sa cousine Kate lui téléphona, dans la semaine qui suivit la découverte du corps, il ressentait déjà une angoisse forte et diffuse. Son anniversaire qui approchait le travaillait, ce qui était - il l'admettait volontiers - une préoccupation bourgeoise et bien terre à terre. Il avait aussi arrêté de fumer depuis peu, ce qui n'arrangeait rien. Sans nicotine, son cerveau était comme brouillé par un sentiment d'effroi confus qui tournait en boucle, et il avait l'impression que le monde lui-même était plus hostile - qu'il en émanait, ne pouvait-il s'empêcher de penser, une douce lueur de malveillance."



---

8,5 /10 

---